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L’ODYSSEE DE PHOTONIS

Après plusieurs années de tergiversation, le groupe Photonis ne passera, semble-t-il, pas sous pavillon étranger. Un soulagement pour les métallos FO et pour notre organisation, qui n’ont eu de cesse de souligner le caractère stratégique de l’activité de cette entreprise, spécialiste de l’optronique, et sur les dangers que faisait peser sur la souveraineté nationale sa possible sortie du périmètre France.

L’année 2021 marquera-t-elle pour les salariés de Photonis la fin des turbulences ? Depuis mars 2018 et l’annonce par la direction de sa volonté de se séparer de 70 salariés sur le site de Brive-la Gaillarde, cette ancienne filiale de Philips spécialisé dans la fabrication de tubes intensificateurs de lumière pour des jumelles de vision nocturne n’a rien connu d’autre que les montagnes russes et est même devenue le symbole des problématiques de stratégie industrielle nationale. La conclusion du dossier devrait être un rachat de cette pépite technologique tricolore par des acteurs économiques français, au grand soulagement de FO.

Une partie de l'équipe FO Photonis.

Dans un premier temps, en mars 2018, FO, syndicat majoritaire, réagit rapidement à ce qui n’est encore qu’un projet de RCC. Michelle Geneste, la secrétaire du syndicat FO, écrit deux lettres ouvertes : une à l'attention d'Emmanuel Macron, l'autre à Jérôme Cerisier, président directeur général de Photonis Holding. Elle y explique que le groupe Photonis s'est développé par rachats successifs avec effet de levier par des fonds d'investissements, et que le coût de cette dette senior pèse lourdement sur le groupe Photonis, ses intérêts consommant une grande partie de la trésorerie générée chaque année. En parallèle, les métallos FO organisent un débrayage afin de montrer leur force. Ce qui permet de négocier et d’obtenir une réduction de la voilure des ruptures conventionnelles collectives sur la base du volontariat, limitées finalement à 47 salariés, ainsi qu’une prime de licenciement allant jusqu'à 25 mois de salaire brut pour les personnes concernées. L’entreprise avait justifié ces RCC par un changement de stratégie industrielle qui devait amener à un recentrage de l’activité sur son cœur de métier à haute valeur ajoutée. Les métallos, eux, n’ont pas été dupes : « Ils ont comme projet d'alléger la masse salariale pour rendre la mariée plus belle, assurait alors Michelle Geneste. Nous sommes soumis à un montage LBO, c'est-à-dire qu'Ardian, le fonds d'investissements d'Axa, a emprunté de l'argent pour acheter le groupe en 2010-2011 et rembourse grâce au travail des salariés. Maintenant, il prépare la revente afin de faire des bénéfices. »

La suite que redoutait FO se confirme et ce projet de revente, qui prend corps en septembre 2019, se transforme en un véritable feuilleton, qui vient de connaître sa conclusion, remettant au passage sur le devant de la scène la question de la protection des entreprises stratégiques, en bonne partie sur l’insistance de notre organisation, qui porte cette thématique de longue date. En effet, FO alerte alors immédiatement les pouvoirs publics sur le caractère stratégique de cette entreprise et des technologies qu’elle détient, insistant sur la nécessité d’une reprise française de Photonis. Cette préoccupation trouve écho auprès de 17 députés, qui écrivent au Premier ministre pour s’inquiéter de l’opération. La DGA confirme à l’époque avoir demandé à deux maîtres d'œuvre compétents en matière d'optronique, Thales et Safran, de se pencher sur le dossier, mais qu’aucun des deux ne souhaite devenir majoritaire. A ce moment, le gouvernement ne considère pas Photonis comme stratégique, alors pourtant que ses technologies d’intensification de la lumière ont des applications dans la défense, le spatial ou la dissuasion nucléaire… L’entreprise californienne Teledyne, elle aussi spécialisée dans la défense, devient rapidement la favorite pour le rachat.

Etat acteur ou spectateur ?

Puis en mars 2020, volte-face de l’Etat français : le gouvernement entreprend de bloquer les négociations exclusives entre Teledyne et Photonis au titre de l’IEF (procédure de contrôle des investissements étrangers en France) est dévoilée. Compte tenu des relations étroites entretenues entre la société californienne et le département de la Défense des Etats-Unis, le rachat de Photonis, dont la technologie et ses usages dépassent le cadre de ses applications militaires, constituerait finalement une menace directe à la souveraineté militaire et technologique de notre pays. L’Etat remet alors la pression sur Thalès et Safran. Après de nouvelles tergiversations autour des conditions de cession, la France finit par mettre son veto à la vente en décembre dernier. « La conclusion du dossier Photonis est un premier pas positif, juge le secrétaire général de FO Métaux Frédéric Homez, surtout en sachant que nous sommes intervenus à plusieurs reprises auprès du CIRI, de Bercy et de l’Elysée pour défendre la souveraineté de l’entreprise, de la France et les intérêts des salariés et nous avons été écoutés. La DGA, à juste titre, pour le secteur de la défense, a également pesé sur la décision finale. Mais de nombreuses autres entreprises sont dans une situation périlleuse et sont convoitées par des investisseurs étrangers, comme Aubert&Duval ou le groupe CNIM, pour ne citer qu’elles. Les dispositifs publics pour mieux protéger les entreprises stratégiques ou sécuriser davantage leur reprise quand elles sont en danger doivent être plus ambitieux, et surtout plus utilisés. »

En ce début d’année 2021, deux fonds français sont bien positionnés : HLD, dirigé par l’ancien patron de Wendel Jean-Bernard Lafonta, et PAI Partners. Quel que soit le ou les fonds retenus, Bpifrance prendrait une participation minoritaire. Afin de consolider l’opération, Thalès et Safran seraient à nouveau de la partie grâce à un rapprochement entre Photonis et Lynred, leur coentreprise spécialisée dans les détecteurs infrarouges, pour créer un nouveau champion français de l'infrarouge et de l'intensification de lumière. Si Thalès et Safran, au travers de Lynred, ont finalement accepté le rachat de Photonis, c’est aussi par pragmatisme : si l’entreprise corrézienne était tombé dans l’escarcelle de Téledyne, elle y aurait été associé à Flir Système, que le groupe californien a discrètement racheté en ce mois de janvier 2021, pour créer une véritable machine de guerre dans l’optronique, qui aurait été en capacité de casser les reins de… Lynred, en réalisant à sa place l’objectif de créer un champion mondial de l’infrarouge. Autrement dit, la France est passé bien près d’une catastrophe industrielle et stratégique de grande ampleur, sur laquelle FO avait alerté dès le début. Au-delà de ces considérations, l’affaire Photonis laisse en suspens une question pourtant centrale concernant la politique industrielle et stratégique de notre pays : l’Etat veut-il être acteur ou spectateur ? Les convictions qu’il affiche semblant changer au gré des dossiers, il faudra toute la vigilance de notre organisation pour éviter de nouveaux Photonis.

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